La première fonction de la pierre sèche c’est de gérer l’eau, cette ressource précieuse entre toutes dans nos terres arides, et si destructrice aussi, parfois, lorsque crèvent, sur les premiers contreforts des Cévennes, les lourds nuages venus de la mer.
La terre se couvre alors de flots dévalant du flanc des collines, et ce sont d’abord les murs des terrasses qui les ralentissent et leur donnent le temps de s’infiltrer dans le sol et de déposer leur précieuse charge de limons et sédiments avant de s’écouler. En contrebas les flots seront ensuite domptés, canalisés, entre les murs bajoyers des valats et béals pour les empêcher de tout arracher sur leur passage. Ce système était largement utilisé autrefois dans les tancats cévenols ainsi que dans les fonds de vallons en garrigue, où il permettait en outre de créer des espaces arables. Le patrimoine actuel continue à jouer ce rôle protecteur, sauf lorsqu’il a été détruit pour faire place à de nouvelles constructions, comme l’ont tragiquement montré les inondations de Nîmes en 1988.
La pierre sèche est également un auxiliaire précieux pour recueillir et stocker les eaux de pluie pour la consommation ou l’irrigation. L’eau était recueillie sur les toits, dans les fossés, puis dirigée vers des citernes ou des impluviums, qui seront exceptionnellement bâtis avec un mortier de chaux, et parfois un lit d’argile, pour assurer l’étanchéité, et empêcher que le précieux liquide ne se perde. Lorsqu’on avait la chance d’avoir une source ou une nappe phréatique à sa disposition, il suffisait de creuser un puits, ou d’aménager une fontaine. L’eau pouvait sourdre à travers les interstices de la pierre et il n’y avait plus qu’à la récupérer. Cet usage a quasiment disparu avec l’arrivée de l’eau courante, mais il était d’une importance vitale pour la survie chez nos anciens.
La pierre sèche avait de nombreuses utilisations agricoles. Les terrasses permettaient de stabiliser les sols et de gagner de l’espace arable sur les flancs des collines. Les murets délimitaient champs et potagers, et l’on pouvait y aménager des apiers destinés à recevoir des ruches. La pierre chauffée au soleil restituait, la nuit durant, la chaleur emmagasinée dans le mur et les abeilles en étaient d’autant plus productives.
Les capitelles étaient principalement dédiées au stockage des outils. Certaines avaient en outre un grenier pour stocker le fourrage au sec. D’autres étaient équipées d’une cuve étanche pour y stocker les olives ou le raisin avant de les expédier au pressoir. On les appelait des capitelles tines. D’autres encore comportaient des pierre percées, dépassant du bâti, bien utiles pour y attacher un animal de bât.
Dans les zones d’élevage les enclos de pierre sèches servaient à parquer les bêtes. On y bâtissait aussi des tours permettant au berger de garder un oeil sur le troupeau. Le long des drailles, des murs servaient à empêcher les bêtes de divaguer pendant la transhumance. Parfois une guérite aménagée dans l’épaisseur du mur permettait de se protéger du vent et de la pluie.
La pierre sèche servait aussi à chasser. Les fosses à loup permettaient de piéger ce grand prédateur. On bâtissait également des garennes pour que les lapins s’y installent, et il n’y avait plus qu’à y lâcher un furet, et à se poster à la sortie avec un grand sac de jute lorsque l’on voulait se préparer un bon civet. Les jours de chasse, on allait se mettre à l’affut dans des agachons équipés d’ouvertures permettant de voir sans être vu.
La pierre sèche servait beaucoup pour les voies de communications. Lorsqu’il fallait franchir un relief, les routes, les chemins, étaient bâtis sur des remblais maintenus par des soutènements de pierre sèche pour corriger la pente. Dans les villages, les ruelles étaient bâties en calade pour faciliter l’écoulement des eaux de ruissellement. Dans les zones agricoles, on bâtissait des chemins clapiers, soit des chaussées surélevées dont l’assise était constituée de pierres jetées entre deux murs de pierres sèches. Ce système permettait d’économiser la terre, de se débarrasser des pierres ramassées dans les champs et aussi de maintenir les chemins au sec grâce au pouvoir drainant de la pierre. Un jour, un ingénieur Ecossais eut l’idée de concasser ces pierres pour former une chaussée stabilisée. Son nom ? Mac Adam.
Les berges des voies navigables étaient également bâties en pierre sèche, ce qui ne manque pas d’ironie ! Aujourd’hui encore une grande partie du chenal maritime d’Aigues-Mortes au Grau-du-Roi est bâtie en pierre sèche, bien visible depuis la route qui relie ces deux villes. En Camargue elle servait à bâtir des martelières pour réguler le niveau de l’eau, jusqu’aux bassins des salins qui étaient protégés de la mer par de longues jetées en pierre sèche.
La pierre sèche avait encore des applications industrielles. Elle servait à bâtir des moulins et des fours à chaux depuis l’époque romaine. Les blocs de calcaire étaient enfournés dans la chambre de cuisson et calcinés des jours et des jours durant pour produire la précieuse chaux qui servait à faire du mortier. Dans les villages, on bâtissait des glacières pour maintenir les denrées au frais dans de la glace acheminée depuis les montagnes. Dans les forêts, elles fournissaient un abri aux charbonniers qui travaillaient là en famille. On l’utilisait aussi pour bâtir de petits fours destinés à produire de l’huile de cade à partir du genévrier, utilisée pour désinfecter les plaies.
Enfin, elle était couramment utilisée pour bâtir de petits édifices religieux. Ainsi chapelles, ermitages et calvaires étaient disséminés sur tout le territoire.